Traque des putes à Paris…

ouroboros_2Ces dernières semaines les rafles de prostituées se sont multipliées sur les trottoirs de plusieurs arrondissements parisiens (13e/18e/19e/20e…). Gouvernement, médias et mairies préparaient le terrain depuis un moment. On se souvient du conseil d’arrondissement sur le thème de la « prostitution dans le bas Belleville » en février 20121 où le commissaire du 19è demandait aux habitants du quartier d’ aider la police à identifier les appartements servant aux passes. Sur la tribune à ses côtés, le président de l’association des commerçants chinois de Belleville 2 méritait une fois de plus son statut de crapule. Plusieurs zélés citoyens, que l’idée de pouvoir participer à la traque policière rendait frétillants, avaient essayé de donner des informations sur le champ, avant de se faire heureusement rembarrer.

Journée de traque à Belleville: les membres de la « communauté chinoise » marchent un peu plus vite. La nuée de pseudos-bobos compulsivement absorbée par ses achats de fin d’année, de commerçants légaux ou non, de clients potentiels refroidis par l’irruption des flics et de pauvres en goguette poursuit sa route quand elle n’applaudit pas des deux mains. Quand on a déjà intégré la transformation de la ville en parc vidéo-surveillé, que les provocations quotidiennes de la BST et consorts (BAC, correspondants de nuits, GPIS) ne nous font plus bondir, quand le harcèlement permanent visant à dégager les indésirables (pauvres…biffins, fraudeurs, sans-papiers) de ce centre commercial à ciel ouvert nous semble une évidence ou une fatalité, on est plus à une infamie près3. Cette nouvelle opération policière est passée d’autant plus inaperçue, dans la pacification ambiante,  que les keufs avaient une excuse toute faite : agir pour le bien de leurs proies. C’est vicelard, il fallait y penser. C’est pour « leur bien » qu’elles sont arrêtées, éventuellement expulsées. C’est pour « leur bien » que les appartements où elles travaillent sont perquisitionnés. C’est encore pour « leur bien » que la police détermine arbitrairement ou non, qui est proxénète et qui est « juste » exploité, procès et enfermement à la clé… C’était également pour « leur bien » que l’assemblée nationale votait il y a plusieurs mois une loi de pénalisation des clients4. L’enfer est pavé de bonnes intentions.

Pour celles et ceux qui veulent bien les croire, ces humanistes invoquent de « grands principes » inattaquables, en théorie. La lutte contre le trafic d’êtres humains et la marchandisation des corps, celle pour le droit des femmes.  L’idée sous-jacente est assez simple: soit tu es dans le camp des gentils: tu adhères à ces grands principes et tu délègues la «lutte» pour leur application aux spécialistes (l’état, ses humanitaires, ses législateurs, ses flics…) soit tu n’adhères pas à ces grands principes  ou tu refuses de déléguer quoi que ce soit à l’état et dans ce cas là tu fais automatiquement partie des méchants. Le très démocratique front commun du bien contre le mal (qui dépasse les clivages réels pour mettre ensemble des idées incompatibles) oublie la question des intérêts que les uns trouvent à préserver l’existant que les autres veulent détruire. Sous leurs enrobages humanistes, toutes ces hypocrites charognes  ne dénoncent évidemment que ce qui les arrange. Ils ne fustigent les trafics humains, la marchandisation des corps que pour mieux laisser le reste debout.

Quel sens ça a de s’attaquer au travail du sexe en laissant le salariat intact?

Dès qu’on enlève les lunettes de la morale religieuse qui considère que le corps des femmes est sacré, que la sexualité ne doit avoir lieu que dans le couple marié et pour la procréation,  on a du mal à comprendre pourquoi la transformation des corps en machines productives ou en bien de consommation, en marchandise5, ne pose problème que lorsqu’il s’agit de travail du sexe… (et des prostituées présentes dans les rues, les autres formes de prostitution « haut standing », moins visibles, étant mieux acceptées)…

Sans la morale religieuse, on a du mal à comprendre la diférence profonde entre la prostitution et les autres formes du salariat. C’est quoi, le salariat, à part une institution fondée sur la contrainte, sur la nécessité d’ avoir de la thune pour survivre dans ce monde? C’est quoi le salariat, à part l’échange du temps, de la santé et de l’intelligence des salariés contre les  miettes plus ou moins ridicules que le patron veut bien leur lâcher? À part un chantage qui tient par la menace (de la précarité, de la prison)? Chacun sait que s’il choisit de ne pas  travailler et de se servir dans l’étalage des richesses pour vivre,  il risque de se retrouver enfermé, et que sa vie ne vaut pas grand chose en regard de la défense de la propriété privée. De quoi maintenir le plus grand nombre dans le chemin du droit (travaille ou crève, travaille et crève). Le moins qu’on puisse en dire, c’est que le fait de se faire de la thune, de tirer bénéfices de la misère ou de la faiblesse d’autrui nous pose un grave problème. Regardons les choses en face: tout patron est proxénète, et l’état (qui tire de la thune de chaque contrat de travail légal (et exige même de prélever une dime sur « l’économie informelle ») est le plus grand de tous.  Les trafics d’êtres humains que ces faux critiques dénoncent mollement ne sont qu’une des conséquences de l’existence de frontières, et de tous les dispositifs qui rendent de plus en plus difficile leur traversée. Laissons-les avec leurs larmes de crocodiles.

Contrairement à ceux-là nous assumons n’avoir aucun intérêt dans la préservation ou la réformation de l’existant, et opposons à leur voie démocratique  la reprise en main de nos vies et de nos capacités d’action, la diffusion d’attaques non  médiées.  La destruction des frontières, du capital, de l’état et du patriarcat sont des préalables nécessaires à une réelle lutte contre la marchandisation des corps, contre les trafics d’être humains, et la destruction des catégories hommes et femmes. 

Opposant l’individu à la majorité,  l’éthique au droit et à la morale, la réciprocité et l’entraide à la compétition pour la survie, lançons nos forces et  nos intelligences à l’assaut de cet existant irrespirable. La tâche est vaste et incertaine mais qu’importe? Il y a plus d’aventure à vivre sur le chemin vers la liberté que dans ces vies mornes et vides de sens.

Détruisons ce qui nous détruit !

traquepute

(Texte pécho dans les rues de Paris en Décembre 2013 et trouvable également sur les Brèves du désordre)

1_ Mi-février 2012, un conseil de quartier du 19è arrondissement sert de tribune au commissaire du 19ème pour annoncer l’amplification de la traque aux travailleuses du sexe, notamment chinoises, dans le bas Belleville. À ses côtés également plusieurs crapules politiciennes et humanitaires.  2_  Association tristement connue pour avoir organisé une manifestation pour demander plus de sécurité en 2010, manif suite à laquelle, officiellement, la BST a été crée (celle là même qui s’est encore distinguée ces jours-ci). 3_  Mais au fait ça commence où, une vie de merde ?  4_ La traque des travailleuses du sexe et de leur clients, a pour conséquence de déplacer les zones de travail vers des endroits plus isolés, où les personnes sont potentiellement plus exposées tant aux violences des clients qu’au racket des flics.  5_ C’est quoi la pub ; a part une chosification ?

 

 

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