Contre-­appel à la délation

weiss-hommecourantA propos du “violeur” traqué par la police parisienne…

Mi-­janvier 2012, la préfecture de police se sert d’une de ses voix officielles, « le Parisien » pour diffuser le portrait-­robot de l’agresseur présumé de trois femmes. Accompagné d’un appel à délation. Depuis, la rumeur enfle, déforme et colporte fausses informations et témoignages, dans la rue et sur internet, et il n’y a pas besoin de traîner longtemps aux abords des collèges/lycées, ou dans les bars, pour entendre crier « au loup ! ».

 Que l’État utilise une histoire sordide pour justifier le développement de toujours plus de moyens de contrôle ne nous étonne pas particulièrement. Il a pris prétexte des violeurs et des pédophiles pour introduire la prise d’adn avant de l’étendre rapidement à la plupart des infractions à la loi. De même, on est passé de la surveillance par caméra des banques et des administrations à l’installation d’un oeil policier à chaque coin de rue. C’est soi­disant pour nous protéger que les caméras sont utilisées dans cette traque. Que suite à la diffusion d’un portrait­-robot la cellule de recherche mise en place par les chtars ait reçu autant d’appels a de quoi nous faire gerber. On parle de milliers de personnes, merde.

Rien de nouveau sous le soleil, les dispositifs de contrôle du pouvoir s’appuient depuis belle lurette non seulement sur l’acceptation, mais aussi sur la collaboration d’une multitude de cafardeurs. Le mécanisme de la délation est largement répandu. Il peut servir entre autres à pourrir le quotidien de toutes celles et ceux qui s’arrangent avec les règles imposées : informer le chef qu’ un.e collègue est en retard, dénoncer des nouveaux squatteurs au proprio, balancer un.e sans­papier à la police, prévenir les darons des mauvaises fréquentations de leur progéniture, etc.

L’existence de personnes prêtes à travailler avec les keufs pose en soi problème à tout amant­e de la liberté. Bien trop souvent, passants ou voisines renseignent la police sur les faits et gestes de celles et ceux qui ne se résignent pas à accepter ce monde de merde et choisissent d’exprimer dans la rue leur colère et leur révolte, en dehors du cadre posé par l’Etat et ses lois… On en a vu encore une triste illustration en Angleterre en août 2011 quand, suite à plusieurs jours d’émeutes, des milliers d’enragé.es ont été identifié.es et enfermé.es grâce aux témoignages d’honnêtes citoyens.

Face à une situation de viol, on devrait trancher entre la peste et le choléra : dans ce cas, même les plus scrupuleux peuvent franchir le pas de la collaboration avec la police. Ou encore, à l’instar de ce qui s’est passé à Montreuil en mars 2009, appliquer une justice populaire : une meute d’une cinquantaine de justiciers à la petite semaine avaient alors lynché (après lui avoir tiré dessus) celui en qui ils croyaient avoir reconnu le « violeur du stade ». Il y a un gouffre entre la lâcheté collective d’une foule et des individu.es s’organisant pour s’occuper d’une crapule qui a commis un viol, quand la personne directement concernée leur demande un coup de main.

Je vois dans cette dernière méthode la volonté de répondre à une agression en dehors de la médiation de l’État. La première correspond plutôt à un déchaînement qui transforme l’individu en “victime” à laquelle on se substitue, bien souvent au nom d’une morale ou d’un ordre social « à préserver ». C’est tellement plus simple de se réconcilier pour tomber sur le “monstre” du journal que de s’attaquer à ce qui se passe autour de soi, au risque de briser l’hypocrisie des rapports établis.

La morale populaire, qu’elle crève, dit rarement que la plupart des viols sont commis par des types que la personne violée a déjà vu (amis d’amis, collègues de boulot, entourage familial…), et que le fait qu’il y ait relations sexuelles régulières n’exclut pas qu’il puisse y avoir viol.

L’appropriation du corps de l’autre est une des expressions des rapports de propriété et d’autorité présents dans ce monde ­ entre adultes et enfants, patrons et salariés, gouvernants et gouvernés, autorités religieuses et esprits libres. C’est l’imbrication de toutes ces dominations qui nous écrase, et qu’il faut faire péter si on veut avoir une possibilité d’être libres un jour.

En tant que fille, je me trouve confrontée très régulièrement à cette menace, sous­-tendue physiquement ou verbalement, par des mecs qui agissent comme des agresseurs potentiels ou relayée par celles et ceux qui reprennent à leur compte un discours culpabilisateur dégueulasse : la liberté que je prends de vivre comme j’en ai envie ­ en choisissant où, quand, comment et avec qui me déplacer, avec qui, quand et comment baiser ­ m’exposerait particulièrement.

C’est quoi ces conneries ? Que ça arrive dans la rue tard, ou en stop, ou en faisant une passe, par un inconnu ou par “son” mec, rien ne justifie le viol.

J’ai bien l’intention de continuer à vivre comme j’en ai envie. Sans considérer le viol comme une fatalité, mais comme une prise de pouvoir contre laquelle se défendre ­ par la ruse, la fuite, la violence si nécessaire, à laquelle il est possible de survivre, sans culpabilité ni honte.

Sabotons toute traque policière et détruisons justice et prison.
Saccageons les codes moraux qui nous empêchent de vivre et de jouir pleinement de nos corps.

Que crève le vieux monde !!!

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(Texte pécho dans les rues de Paris en Février 2012 et trouvable également sur les Brèves du désordre)

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