On veut pas de leur justice!

guignol2Le texte qui suit est extrait du journal « hé vas-y on… » distribué sur grenoble et sa région en 2011-2012 et qui proposait de « faire circuler des infos et des idées pour lutter, en dehors des institutions, contre la taule et contre ce monde qui a besoin d’enfermer, dedans et dehors, dans des cases et dans des cages ».


 L’autre jour on était au tribunal. Tout l’après-midi, à attendre que ce soit « notre tour », tout l’après midi à voir défiler des affaires, des histoires de vol en général, mais pas uniquement. Tout l’après midi à voir la justice « faire son travail ». Trois juges pleins de morgue, faisant la morale de toute leur hauteur, au nom de la « société ».

C’est tellement frappant, de les voir là, avec leur costume et leur salaire, sûrs d’eux. Demander à ceux qui comparaissent devant eux: « Mais enfin, vous n’avez pas de travail? Et vous en cherchez comment? Mais vous avez fait des efforts? ». Engueuler des gens comme un prof engueulerait des enfants à l’école, jusqu’à ce qu’ils baissent la tête. Sentir le jugement, la suspicion des « honnêtes gens » dans leur attitude, les voir attendre le cinéma des regrets, des excuses, des bonnes résolutions.  Les voir hausser le ton, invoquer la loi et la morale, ce qui se fait, ce qui ne se fait pas… Sentir toute l’hypocrisie de cette mise en scène… L’un d’eux laisse parfois échapper des ricanements, grimaces, il s’endort même quelques instants. Du pur mépris, du foutage de gueule clair et direct. Parce qu’on est pas du même monde, pas de leur monde à eux, de ceux et celles qui ont un travail régulier et un compte en banque confortable, une bonne éducation, un logement, une voiture, des papiers en règle évidemment, la peau claire. Le monde de celles et ceux qui vivent le cul dans du beurre, en gros.

Le recours au système judiciaire paraît parfois nécessaire dans certaines situations de détresse, dans une société qui n’offre presque aucune autre possibilité. Mais la punition et la délégation à des instances spécialisées et bureaucratisées qui nous dépassent, quand elles ne se retournent pas contre nous, ne sont que des illusions de solution pour les un-es, et les outils du pouvoir pour les autres.

En face, c’est plutôt le monde de la débrouille. Sans dire que les personnes qui comparaissent sont sympathiques… celles qui les jugent sont à vomir. À un moment, justement, passe un gars antipathique. Il est accusé de s’être frotté de manière obscène contre plusieurs femmes dans les transports en commun. Rien qu’à imaginer qu’il me fasse ça à moi, la colère monte, les poings se crispent…

Pas la moindre hésitation pour combattre ses actes. C’est une forme de viol, c’est insupportable. Pourtant à ce moment, dans ce tribunal, il fait juste pitié. Le voir comme ça, avec les trois vautours qui s’acharnent contre lui… qui tentent de le disséquer à coups de rapports d’expert psychiatre. À essayer d’établir si oui ou non il est normal, si sa vie sexuelle est normale. À revenir, eux, des mois après, sur les détails qui maintenant, sont humiliants pour lui. À jouer de leur position de pouvoir, parce que c’est l’essence même de leur fonction. Alors il baisse la tête, mais qu’est-ce que ça veut dire au juste? Un peu facile de faire de lui un déviant dans un monde ou le sexisme est la norme. Dans un monde où on siffle les femmes dans la rue, où l’on s’amuse au collège à mettre la main aux fesses des filles, dans un monde où l’on parle de « devoir conjugal », où une grande partie des viols ne sont pas reconnus comme tels.

Dans un monde où l’on considère que voyager, faire du stop, sortir la nuit, et faire tout un tas d’autre chose SEULE, c’est prendre des risques. Comme si une agression pouvait survenir de manière assez logique à partir du moment où des femmes ne sont plus « sous la protection » et la dépendance d’un homme. Trop facile de nier  ce contexte, de faire comme si le problème résidait seulement dans cet homme qui, cette fois, s’est fait attraper. Trop facile d’utiliser la situation des femmes à qui ces hommes à imposé ces attouchements. De jouer la société bien pensante et vengeresse, de décider à leur place ce qui va venir réparer l’affront, la blessure, ou autre. Je veux un monde où des actes comme celui-ci ne se produiraient plus, parce que les rapports entre les hommes, les femmes auraient changé. Un monde où « être un homme » ou « être une femme » n’aménerait pas cette cohorde de présupposés, comportements attendus, voire même que ça ne voudrait plus rien dire.

Je veux un monde où si ces actes se produisent malgré tout, on peur leur trouver dans l’instant diverses réponses: un gros scandale au milieu des autres passagers qui ferait probablement cesser l’agression, mettre le type dehors du transport en commun, lui balancer une mandale, ou autre. Et parce qu’on ne trouve pas toujours dans l’instant des réponses adaptées, ou qu’une agression peut-être rendue publique longtemps après, s’y confronter quand la personne qui a subi l’agression s’en sent capable, dans des modalités choisies, et pas quand on reçoit une convocation. Trouver la confiance, ne plus avoir ni peur ni honte de mettre en lumièr les agressions que vivent les femmes pour la seule raison qu’elles sont des femmes; trouver la force de se défendre. Ne pas laisser la police, la justice, les taules, faire leur propagande sur notre dos. Elles font aussi partie de ce qui nous agresse; et elles n’ont aucune place dans le monde dont on rêve.

 

 

 

 

 

 

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